Ancrages

Elle avait moins de temps à offrir à la contemplation.

Il y a quelques années encore, les paysages la tenaient des heures calée contre un arbre, à s’éblouir du vent qui tressait dans le ciel ses nattes colorées.

Était-ce le lot commun ? Évoluait-on toujours, pressée de vivre, vers moins de gratuité ?

Elle déménageait souvent. Mais son unique critère pour choisir ses maisons restait leur aptitude à faire rêver.

Si l’harmonie du lieu se montrait inspirante, sa réaction était instantanée : il était exclu de poser ses bagages ailleurs.

Elle avait déjà souscrit à l’étang qui sommeillait aux berges d’un manoir,
à l’écharpe de boutons d’or enroulée autour d’un vieux logis,
au massif de camélias qui enfiévrait, l’hiver, une façade transie.

Elle n’avait pas résisté à la montagne encadrée par la vitre d’une cuisine,
qui se dandinait d’un pied sur l’autre dans son anneau de nuage.

Elle leur avait donné son acquiescement immédiat.

Elle revoyait François Cheng à la télévision célébrer la b[o]té, qu’il prononçait avec un o très fermé et une consonne si appuyée à l’initiale – presque [po]té, chargée d’une forme d’intransigeance – que chaque fois elle riait de ce vocable défrancisé, au croisement des continents et des langues.

Elle n’avait jamais imaginé la beauté empotée.

Mais elle aimait les concepts ambulants.

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