Elle s’émerveillait de les voir tête-bêche dans la chaleur de l’été.
Vieux conjoints qui ont su découvrir leurs préférences cachées.
Les deux se tenaient là, des jours durant. La gestion du territoire était la seule affaire qu’ils pouvaient maîtriser.
Pas question de s’éloigner d’un poil pour brouter par-delà la barrière, histoire de vérifier le goût d’une herbe qui paraîtrait plus verte.
Ils se contentaient de leur lot, gagnés à cette union organisée par d’autres, sans ruades ni défis contre un partenaire qu’ils n’avaient pas choisi, encore bienheureux qu’il soit là.
Elle méditait sur leur fidélité singulière.
Au lieu de s’agacer d’une cohabitation déplaisante ou de s’envoyer quelques coups de pied énervés, ils filaient leur histoire avec un sage détachement.
Ils s’arrangeaient des aléas de leur condition. Un pic de chaleur, dans cette campagne sèche au centre du pays, leur amenait par foison mouches et taons que la température rendait plus agressifs.
Il y en avait des dizaines, avides, à se poser sur leurs yeux fatigués.
Sauf qu’ils avaient mis en place un remède imparable. Positionné en sens inverse, chacun utilisait la queue de l’autre en éventail.
Grâce à quoi ils savouraient une immobilité complète, luxe précieux dans cette fournaise où le moindre effort était insurmontable.
Et justement, le comparse avait la bonne idée d’agiter la queue sans relâche.
Leur attente était ponctuée de coups de sabot au sol, qui auraient pu passer pour des signes d’impatience.
Mais le but était de dissuader les mouches – interrompues dans leur exploration des yeux – de tenter une incursion vers l’abdomen d’un roux qui tirait sur le blond, d’une texture tendre et soyeuse où elles aimaient se perdre.
On pouvait se réjouir d’une telle inclination, capable de vaincre les aprioris auxquels l’instinct borné réduit parfois l’esprit.
La présence de l’autre était transformée en bienfait : l’équipe tirait le plus habile profit de sa dépendance imposée.
Elle s’étonnait de cette complicité qui semblait naturelle, de cette trêve dans les jalousies et rancœurs ordinaires.
Elle admirait surtout qu’on puisse rester accolé si longtemps à un pelage ami.
Et même s’ils n’avaient pas d’autre dessein que d’améliorer leur confort quotidien, ils accomplissaient un rituel dont bon nombre de couples avaient de quoi s’instruire.
Tant de solidarité donnait à réfléchir.
Ils demeuraient là des heures dans une docilité exemplaire, plaqués au flanc compréhensif, dans l’attente impassible que la nuit les délivre de leur tourment commun.
© Lois Greenfield