Le monde était voué à des fluctuations propres à vous désorienter.
Il était vain de prétendre l’amadouer,
le forcer à tenir dans des cases mentales
dans le besoin que tout s’enchaîne comme on l’a désiré,
que la poste délivre le courrier attendu,
qu’un train assure son horaire de voyage,
qu’en neuf mois une femme accouche à son terme annoncé,
que chaque organe se synchronise aux autres, en bon petit soldat.
Pourquoi ne pas inscrire aux programmes scolaires que le réel n’avait pas pour vocation d’être contrôlé ?
À la rigueur traversé,
dans le meilleur des cas investi,
mais toujours faussement dominé.
Que tout ce dont on s’arroge l’usage n’est l’objet que d’un prêt,
d’une faveur provisoire
(vaste bibliothèque du monde où il ne faut pas oublier la date du retour pour ses livres préférés),
que les humains – plus ou moins chanceux, c’était indéniable –
restaient redevables d’un crédit mystérieux
qui savait injustement se bloquer.
Tout pouvait s’infirmer de ce qui semblait acquis au départ.
Mieux valait s’habituer aux contretemps qui déjouent les projets, comme le minuscule résidu au fond du réservoir pollue l’essence et suscite les embardées violentes de votre pauvre moteur.
Restait à se dire, pensait Marie, qu’en cas de rendez-vous manqué,
de verglas imprévu
ou d’autoroute fermée,
on était moins frustrée en relativisant le dommage
qui n’était pas tant d’arriver en retard
que d’être désarçonnée
par l’effet du hasard.
Se souvenir que c’est plutôt à l’extraordinaire que tient la réussite.
Cette conscience assumée dessinait la limite
de ce qu’il était raisonnable de vouloir contrôler.
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