La nature anticipait finement.
Elle insinuait d’abord quelques symptômes minimes
qui vous détachent en douceur de ce qui semble acquis.
Vous renonciez successivement à la peau lisse et fraîche
aux dents blanches et solides
aux voyages lointains
puis à la marche toute simple,
avant de requérir de l’aide
pour laver vos vieux membres.
Grâce au déclin progressif, vous aspiriez bientôt à l’unique délivrance.
Si de surcroît vous aviez eu la chance d’accompagner vos parents à la fin de leur vie, vous perceviez avec moins d’effarement les signes du vieillissement
quand vous étiez à votre tour sur la sellette de l’âge :
vous les reconnaissiez, ce qui vous épargnait une découverte pénible.
Le soin que vous aviez pris des vieux pieds déformés
les massages pour soulager un dos voûté,
rien ne se révèlerait inutile :
tout cela contribuerait à désarmer vos craintes.
À la réflexion, il s’avérait que l’affaire était assez bien orchestrée,
qu’elle n’était insupportable que si l’on se cabrait
comme un muscle trop tendu peut conduire au claquage.
Car si l’on jouait le jeu, tout était conçu pour faciliter le passage.
Il n’y avait qu’à se laisser porter. Tout était préparé, étape par étape, pour la grand-messe finale.
Vous éprouviez alors un relâchement des nerfs.
Ainsi dans la crise s’installe une paix soudaine,
seul moment où vous pressentez
(quoique vous restiez toujours sans preuves
et sans certitude de ne pas vous tromper)
une bienfaisance à l’œuvre.

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