Adelphie

La réalité était parfois décevante face aux représentations édifiées dans l’enfance.

Dans la famille de Marie, les frères affichaient la crainte de voir la mère patrie envahie, dénaturée et violée par tous ces étrangers qui se remplissaient les poches au détriment du contribuable.

Ainsi, quand ils blâmaient la perte des valeurs d’antan, elle se sentait spoliée de ce rôle de sages, dominant les mêlées, que l’on attribue volontiers aux aînés.

Son affection était assombrie par le désaveu qui les séparait sur le plan des idées (car ils la jugeaient écervelée, trouvant qu’elle manquait de discernement à recevoir sous son toit des exilés, les encourageant bêtement à rester).

Elle leur objectait que si l’on remontait le cours du temps, on découvrait qu’au XVIe siècle leurs aïeux étaient venus des provinces flamandes pour s’établir sur la côte marécageuse de Royan, comparable au plat pays d’où ils venaient. Là, ils avaient asséché, pioché, puis lancé un commerce lucratif avec les ports cousins du nord. Gratifiés d’une fortune conséquente, ils s’étaient définitivement installés sur leur terre d’accueil.

Ça la réjouissait, elle, d’avoir dans les veines du sang d’expatriés.

Elle l’avait lu, la famille est une force si elle est ville ouverte.

Dans sa ville à elle, ne craignant pas les invasions, elle inclurait – outre la complice qui veillait depuis des lustres à ses côtés – ce frère spirituel travaillant au rapprochement entre les religions, ou cette aînée courageuse qui sillonnait le labyrinthe de sa mémoire pour tirer du silence l’histoire de tout un peuple.

Mais il y avait aussi la version petite sœur qui pointait son nez à l’horizon avec son énergie gloutonne, son guet ébloui sous la danse des lunes, et ses phrases gonflées de métaphores où les mots ne parvenaient pas à se tenir assis.

Ils lui apportaient ensemble une tendresse qui la nourrissait sur le tard : elle reconnaissait le signe qu’elle était au bon endroit, à sa jubilation du cœur et de l’esprit.

La solution était donc à extraire des configurations offertes par le hasard.

Bonne nouvelle pour les frères spoliés, pour ceux qui avaient réfréné leurs désirs afin de transmettre un exemple aux cadets, pour les jeunes confits dans une idéalisation naïve, pour les pères toujours plus ou moins invisibles, pour cet entrechoc de destinées qu’étaient les vies de famille.

Elle saluait la maturité qui allait unir, dans des êtres de passage, les acteurs inattendus d’une parentèle à se construire, sur le seul matériau qui dût jamais s’utiliser – celui d’un optimisme bienveillant et instruit.

François I écoutant sa soeur Marguerite d’Angoulême lire son oeuvre (L’Heptaméron) © Ville de Cognac

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