Certains textes bibliques, déclarés apocryphes, avaient été évincés au profit d’autres reçus comme authentiques.
Le corpus avait donc été l’objet d’une longue maturation.
Bizarrement ça ne la gênait pas, ces réajustements de l’Histoire pour renforcer la cohérence du récit.
Elle comprenait qu’une pensée soit l’objet de tâtonnements multiples, agréés au fil d’inspirations successives.
Le problème était plutôt l’écart entre l’idéal, graduellement peaufiné, et sa transposition dans la réalité.
Le décalage était flagrant entre une analyse des textes de plus en plus nuancée, et des instincts toujours vivaces chez les autorités responsables.
Éros continuait d’assiéger les corps supposés chastes.
Le sort des femmes avait aussi de quoi susciter la révolte : il était difficile d’oublier qu’actives dans les premières communautés, elles avaient été bientôt reléguées au rôle de petites mains.
Quelques dogmes avaient été adjoints qui leur étaient de plus en plus défavorables, et dont la partialité démasquait l’intention de donner le pouvoir au parti masculin.
Mais un retour de balancier s’amorçait, qui remettait les femmes en scène. Justice était rendue aux grandes théologiennes.
Marie était agitée par cette spirale d’évolutions contraires,
assombrie par la vision pessimiste d’une Histoire qui tourne en rond dans ses pulsions
mais tentée par l’hypothèse d’un progrès incessant,
comme si le système tiraillé en deux sens s’améliorait lentement
malgré des reculs indéniables
– condamnant la théorie la plus fine à des retombées radicales,
et empêchant l’orgueil humain de se croire couronné
sous prétexte qu’il côtoie le divin.
Après tant d’errements elle voulait croire qu’émergerait
– à partir d’esquisses peu à peu éclairantes –
le message le plus probant pour l’humanité
un creuset où fusionnerait l’essence des acquis les plus sages,
lentement épurés,
comme un fin cognac se corsant avec l’âge.
