Genèse

Un chercheur venait de découvrir une lettre griffonnée qui contredisait l’ordre attribué aux Petits poèmes en prose.

On avait pris pour table des matières ce qui n’était pour Baudelaire qu’un aide-mémoire destiné à différencier les inédits, des pré-originales.

En fait, une version charpentée était plus commerciale. Et c’était de bonne guerre : qui préférait s’offrir une œuvre dans un pêle-mêle inachevé ?  Qui préférait renoncer à une distribution soignée qui avait placé en ouverture le poème « L’Étranger » ?

Un autre chercheur allait jusqu’à démontrer un processus des plus sophistiqué où chaque texte contenait la nécessité du suivant, commandant la structure finale par un système d’enchaînements.

Mais la réalité tirait l’œuvre du côté de sa nature mouvante. Ou bien la mort avait empêché l’auteur d’aller au bout de son projet ; ou bien l’unité de l’ouvrage relevait d’un simple échafaudage.

Bref, le lectorat devait assumer la fragmentation comme essentielle au recueil. Et il était prié de renoncer à la fable du montage.

De même on avait éludé la suppression de quelque deux cents pages sur la disparition d’Albertine, pourtant voulue par Proust lui-même qui prévoyait de les récupérer dans un volume central. Mais la politique éditoriale avait privilégié le début et la fin de l’édifice proustien : les corrections avaient été rangées dans un tiroir, où elles étaient restées des décennies après la mort de l’écrivain. Ainsi le roman avait été découpé de façon à marquer les esprits davantage. 

À partir de quoi on se demandait s’il était possible qu’émerge jamais une interprétation fiable.

Si le texte publié ne rendait pas son jus de complet artefact.

Si finalement à la lecture, seule ne comptait pas la création d’un sens, pour erronée qu’elle soit.

On en revenait à cette théorie de la Réception qui reléguait les intentions de l’auteur loin derrière la carrière sociale que menait, longtemps après lui, son œuvre.

De fait cette théorie pouvait être élargie aux autres domaines de la pensée – et pourquoi pas aux documents sacrés où tant d’humains mettaient leur foi.

Devant cette tendance générale à se forger les explications qui conviennent le mieux à sa propre raison, elle se demandait ce que toutes ces cosmogonies révélaient, et si elles n’en apprenaient pas plus sur leurs ordonnateurs (flattés par l’idée d’un agencement) que sur une vérité quelconque.

Peut-être les textes fondateurs n’étaient-ils qu’une main tendue pour sortir les peuples de leurs incertitudes.

Peut-être fallait-il les considérer ainsi : comme une construction lectoriale, en somme.

Baudelaire © Nadar- BNF