La terre labourée exposait ses entrailles.
En ce jour estival d’automne, la campagne ondulait sous la saisie chaleureuse du vent.
La nature reprenait des forces.
Le sol était à vif, d’un humus excité par l’odeur du couchant.
Des mottes brunes reposaient, exceptionnellement vides de leur semence.
Cette jachère réconfortait Marie.
Enfin du désintéressement,
même si ce n’était qu’un répit
pour être plus fertile
à la saison suivante.
Elle était arrivée au sommet de la côte où les feuilles de vigne,
métalliques et roussies, cliquetaient en concert sous l’haleine du vent.
Elle venait d’apprendre une autre violence faite aux femmes,
et voulait essouffler son tourment.
En haut de la colline elle avait vu poindre un ciel rayé de vaguelettes
qui reflétaient les sillons de la terre.
Elle se sentait invitée par ces ondulations rassurantes.
Le bleu, d’un pur absolu une heure auparavant, était traversé de filaments laiteux.
Comme si le ciel répondait à la terre qu’après tant d’efforts, une halte sans rien faire lui paraissait tentante.
C’est alors que Marie avait perçu un frémissement à ses côtés.
Le temps d’ajuster son regard, deux jeunes chevreuils devisaient au couchant.
À sa vue, ils avaient bondi et disparu entre deux rangs de vigne.
Elle avait accéléré pour les accompagner.
Bizarrement, ils ne cherchaient pas à bifurquer.
Ils restaient dans l’axe de sa trajectoire. Se croyant poursuivis, ils sautaient lestement par-dessus les obstacles.
Elles avaient cheminé ainsi,
les bêtes franchissant la série de ceps alignés au cordeau,
et Marie pédalant comme une enragée
pour se maintenir à leur niveau
sur la route qui zigzaguait le long du champ.
Deux petits derrières blancs, agiles à s’élancer :
à peine les voyait-elle bondir qu’ils redescendaient,
se mêlant aux feuilles rutilantes,
absorbés un instant
avant de se propulser à nouveau
au-dessus de la vigne.
Elle se disait que c’était cela, le mystère du vivant,
la fuite comme seule issue à l’agression possible.
Mais en même temps elle aurait voulu les avertir de leur malentendu présent. Car enfin, elle n’allait pas les attaquer.
Tandis qu’elle observait ces animaux inquiets
opter pour une course éperdue sur une simple méprise,
elle devinait de nombreuses femmes piégées,
ne sachant éviter la capture, ni se mettre à l’abri.
Elle admirait la synchronisation du couple, car les deux arrière-trains se dressaient en même temps.
C’est pour rattraper ce rêve un peu fou qu’elle pédalait si vite,
pour rejoindre l’utopie de cet accord parfait.
Seule lui suffisait la symétrie de leur rythme partagé :
chaque tour de pédale entraînait les croupes bondissantes.
Plus rien ne comptait que cette folle équipée,
animale et humaine, qui ne savait où elle allait,
mais qui fonçait de l’avant.
Avec le projet de garder dans une même empathie
tous les gibiers de la chasse
à qui la survie n’est pas toujours permise.
