Jusqu’alors Marie avait associé la lune à sa grand-mère (la nuit, elles la contemplaient ensemble assises sur le banc devant leur maison de campagne). Ces partages silencieux avaient marqué durablement sa mémoire d’enfant.
De même, un jour viendrait où la vue des traînées blanches qui crayonnent le ciel la ramènerait au souvenir de sa mère disparue. Elle regarderait d’un œil nouveau ces aiguilles de métal rougies à la flamme du couchant, tirant leur écheveau de fables à travers le fond bleu d’un canevas géant.
Elle passerait la réalité au filtre d’une interprétation positive.
Cette performance inédite donnerait jour à une figure maternelle recomposée – passionnée de suivre la trace de ces patins sur la glace du ciel, séduite par leur élan de nacre –, qui serait peut-être le fruit de sa projection personnelle, peu importait.
Elle se laisserait remorquer par ces élastiques tendus à travers ciel, lance-pierres d’une volonté d’y croire, redéployée sans cesse.
Peut-être arriverait-elle un jour à se créer un vrai soulagement.
Car il ne suffirait pas de se sentir indemne.
Relire l’histoire dégagerait des ondes bénéfiques, qui reviendraient vers elle.
Certes elle contestait parfois ce système de béquilles tendues à travers ciel, un peu trop méthodique. Et leur effilochage rapide suscitait un malaise. On butait sur le vide d’un départ.
Elle, ce qui la fascinait plutôt, c’était la mouvance des gros nuages flottants, ourlés d’un éclat d’ambre.
Mais elle n’allait pas chipoter. Dans les sphères aériennes, elle s’y retrouverait.
Elle prêterait une attention nouvelle à la symétrie des lignes qui se croisaient.
Mille-pattes endimanchés pour un rendez-vous de printemps.
Fermeture éclair cernant un décolleté d’infini, trompeusement offert.
Chaque maillon élargi sous la main fiévreuse du vent, qui l’exaspère en vain.
Les rayures deviennent laineuses avant de s’évaporer tout à fait.
Figure qui se disperse, effaçant le butin entrevu, demeuré incertain.
Seule subsiste une fragrance poétique où se balbutie le mystère d’un envol.
Alors le souvenir sortirait de sa léthargie provisoire.
Il atteindrait le stade où autrui est porté à un niveau de cristallisation idéale.
Cette immunité chèrement établie ne serait pas seulement tributaire de l’effort investi, mais elle resterait acquise (c’était la bonne nouvelle) jusqu’à la fin des temps.