Au pays des vermeilles

La petite main posée en couronne sur la sienne, elle échappait au temps. 

L’enfant de son enfant lui ouvrait le pays interdit où l’on imagine n’entrer qu’à contre-volonté, rendant subitement acceptable ce que l’on redoutait.  

Grâce à un nouveau-né elle arrivait à se déprendre.  

Elle s’émerveillait de ce qu’un corps si petit, qui ne parlait pas encore, puisse par sa seule présence, par son avidité à saisir, par la gourmandise de sa bouche impatiente (à peine enfournée, la cuillérée était lapée et un claquement de langue confirmait le plaisir satisfait) puisse rendre soudain facile un passage angoissant. 

De son front à elle, il effaçait les rides. 

Elle ne savait à quoi cela tenait : l’illusion, en serrant le bébé dans ses bras, de se retrouver trente ans auparavant ? Mais il ne s’agissait pas du vertige de durer. Un tiraillement dans les lombaires le lui rappelait : on n’inverse pas le cours du temps. 

C’était peut-être la certitude qu’à travers lui, si on dégageait le plancher, c’était pour une cause sacrément convaincante.   

Elle ne parvenait pas à imaginer l’origine de cet enchaînement, et se perdait dans une voie lactée qui avançait dans l’espace, aveugle à son projet mais confiante en la nébuleuse d’énergies brutes qu’elle charriait.  

À partir de quelles grottes enfouies les ventres de sa lignée avaient-ils enfanté des rejetons fertiles, par quelle magie ce souffle précieux continuait-il à se léguer…  

C’était aussi le plaisir partagé avec celui qui était devenu le grand-père, leurs gestes sûrs à s’occuper du bébé, ce savoir-faire appris ensemble, qu’ils retrouvaient.  

Cet enchantement qu’elle lisait sur son visage, miroir comblé.  

Comme un rehaussement de l’être.  

Ou un malentendu dénoué.  

Étonnant que pour la première fois de sa vie, le gain soit au-delà de la mise : car il n’y avait rien de mérité dans tout cet accompli.

Elle était hors du faire, loin des normes habituelles où à coups d’épaule on se construit. 

Grâce à un petit d’homme pas plus haut que trois pommes, elle entrait dans un royaume où il suffisait d’être là pour justifier la suite. 

Crédit image © Seuil