Délestage

De loin, ce signe de la main. 

Enfin, au soir du presque déjà trop tard, autre chose germait grâce à une maladie de la mémoire, au coup de balai mental qui exhumait, d’un cerveau en suspens, les émotions enfouies. 

Elle accueillait avec gratitude ce répit inattendu – mère et fille reconnectées, dans la fêlure de leurs années.  

Sa mère avait pesé sur sa vie avec ses coups de fil raccrochés et cette rude habitude de toujours se vexer. Un reproche pouvait courir des mois.

Mais  pour la première fois la mère pensait à remercier. 

Le visage maintenant adouci marquait la trêve des calumets. 

Une histoire enfin sobre était en train de se construire. 

Au revoir la fenêtre où s’agite une légèreté nouvelle. 

Au revoir les rides où se vident les cases du souvenir. 

Oui la paix, elle y était, quand elle n’y croyait plus l’espoir avait toqué.  

En elle ça se dénouait. 

Oui la paix, trop longtemps ajournée, féconderait le ventre des filiations inaptes à jamais satisfaire les mères.

 

Au moment du départ il lui était apparu qu’en bien ou mal, tout s’évanouirait, sans autre trace qu’un aperçu remémoré. 

Rien ne resterait de ce qui semble crucial. 

Devant ce cerveau lessivé – métaphore du vivant –, elle avait compris que tout ce qu’on a créé se dissoudrait pareillement. 

Et cela, malgré les hommages de la postérité.

Elle avait reconnu l’inanité de vouloir sans cesse accomplir davantage, de concevoir des articles épuisant les sujets, d’élaborer des documents toujours plus performants. 

Elle en avait la conviction désormais, une vie bien remplie valait autant qu’une vie à glaner. 

Et même les livres écrits, même les défis remportés, étaient légers dans la balance. 

Elle pressentait qu’au néant des mémoires, rien n’émergerait du saisi de l’instant. 

D’avoir écrit un chef-d’œuvre n’avait pas soustrait Proust à l’inconfort du décalage social.  

Et certaines notes de lui, plus sûrement que le graal du temps, témoignaient de sa peur enfantine d’être abandonné. 

Elle comprenait mieux les sages qui préféraient jeter leur agenda plutôt que céder à la névrose des bilans. 

En limitant son champ d’action, on se recentrait sur le présent immédiat. 

Le moindre différé n’était déjà plus que de l’évaporé.  

Finalement écrire, aussi, favorisait l’illusion.  

Un vide complet était une sacrée décision. 

Ainsi pas de surprise, cap sur l’éternité, sans fatras à larguer. 

Preuve suprême de sa démonstration, aurait-elle – d’un clic sur le clavier – le courage de hâter vers le néant ce qui, de toutes façons, allait y retourner ?  

© Pierre de C., Jeune femme