Richard II

Comment se déprendre de ce que l’on possède : Shakespeare avait confié à l’homme le plus puissant du royaume un dilemme qui restait d’actualité. 

« Tu veux ma couronne, mon cousin ? Tiens, elle est à toi ! » Le public qui s’attendait à une résistance opiniâtre n’en revenait pas. Et le cousin non plus, moins sûr de lui depuis qu’il avait atteint son objectif si facilement. Car vouloir ce qu’un autre détient et tout faire pour se l’approprier avait pas mal de conséquences au niveau d’un État. 

C’est pourquoi cette soumission immédiate au rival avait de quoi désarçonner. Céder son sceptre, c’était d’abord priver la monarchie de l’origine divine qui la légitimait. Sa portée philosophique dépassait donc la simple querelle de succession.  

L’intérêt était non seulement dans cette abdication complaisante de Richard II à la première demande, mais dans ce vide des vanités qui s’ensuivait 

Plus fascinant encore était le désarroi du cousin qui se voyait comblé trop vite, sans les luttes sanglantes auxquelles il s’attendait. Il se retrouvait brusquement incertain, comme s’il avait compris que quelque chose clochait.  

Comme si le pouvoir, de n’être pas disputé, n’était plus aussi attractif.  

C’était un clown grimaçant qui s’efforçait de régner.  

Pour aggraver son cas, il avait – histoire d’asseoir sa domination dans le tempsordonné le meurtre du prisonnier (enfermé dans la tour, celui-ci avait beau ne déranger personne, il était quand même préjudiciable à l’avenir de la lignée).  

L’homme de main invité à ce rôle de Judas, s’apprêtant à enfoncer le poignard dans la poitrine royale (sans savoir que ce crime serait la vrille de son prochain remords), avait été surpris que le supplicié, au lieu de gémir sur son sort, le plaigne, lui, l’assassin, et l’engage à conclure rapidement son exécution ignoble 

Ainsi Richard II avait accepté sans révolte de mourir, infiltrant le malaise chez celui qui le tuait. Ce dernier se tournait alors vers le nouveau roi en quête de soutien, mais se voyait rejeté pour son forfait – certes commandité, cela n’était pas nié – mais soudain désavoué par un chef désireux de soulager sa conscience et prétendant (peut-être pour amadouer le jugement de la postérité) se convaincre lui-même de sa propre innocence. 

Avoir remporté cette deuxième victoire sans combat privait du beau rôle l’agresseur.  

Si au moins le condamné avait mendié, tenté d’acheter son bourreau, fait miroiter une faveur en échange d’un accord… mais non, il avait acquiescé au scandale de la mort. 

Que lui arracher donc, si la hargne lui manquait ? si la victime consentait à l’injustice qu’elle subissait ? 

Le roi était renvoyé à l’inanité de son acte. Et au lieu de tirer gloire de sa stratégie musclée qui se donnait les moyens d’une politique à la hauteur de ses visées – qui savait choisir ses alliés et se méfiait finement d’éventuelles représailles –, c’était lui le plus misérable, non le cadavre à ses pieds.  

Il avait beau chasser le meurtrier, il était stoppé net dans son ascension, privé de son alibi comme un pantin dont on a cassé le fil. 

Paradoxalement, il le comprenait trop tard, c’est à la sagesse du roi sacrifié que revenait la palme. 

Certes l’imposteur voyait ses ambitions comblées, mais il était privé de la seule illusion qui vaille.  

Il se retrouvait seul et tragiquement dépossédé, en faussaire du pouvoir.