Elle se rappelait que sa mère ne laissait jamais partir ses enfants sans qu’ils se sentent coupables de l’abandonner.
C’est pourquoi elle-même s’était fixé benoîtement un objectif inverse : laisser ses enfants libres de la quitter sans se croire redevables d’une peine qu’ils infligeaient ; et surtout leur présenter un visage incessamment léger d’où seraient bannis tous les ressentiments.
C’était sa façon à elle de leur dire qu’elle les aimait.
Avec un tel programme, elle était parée…
Elle s’interrogeait sur tant d’ingénuité.
Car les enfants ne pouvaient apprécier le gain, ignorant le préjudice auquel ils échappaient.
Mais surtout, la certitude d’avoir atteint son premier objectif était la source même des difficultés à venir : non seulement – attentive à ne pas reproduire – on baissait sa garde sur les autres sujets et on commettait des négligences nouvelles dont soi-même on n’avait pas appris à se méfier, mais l’euphorie gagnée au réconfort d’avoir été assez maligne pour ne pas répéter les erreurs du passé aveuglait d’autant plus sur l’autre risque que l’on méconnaissait.
La nature nécessairement circulaire du phénomène était plus gênante encore qu’une faute d’éducation en tant que telle.
Car le pot aux roses n’était découvert qu’après, quand tout était consommé.
Que ce soit une leçon d’humilité, il fallait en convenir. Ce qui dérangeait surtout, c’est que l’histoire se perpétue depuis des millénaires sans que jamais l’humanité puisse prétendre à un quelconque progrès.
On se heurtait au retour implacable d’erreurs mille fois commises et mille fois oubliées, et borner son résidu de liberté à une prise en compte tardive, à un regret dessaisonné.
À moins que de toute éternité, cette phase ne soit une occasion de dissoudre les doutes qui oppressaient (incluant celui de ne pas savoir jusqu’où l’on s’est plantée).
D’accueillir sans tourmente un futur qui, de toutes façons, reste la grande inconnue et demande à être sereinement abordé pour que dans la conscience s’ouvrent un jour les portes du pénitencier.
© Crédit image Christophe Le Baquer – Saint Paban – La Vallée des Saints