Modèles

À des milliers de kilomètres de chez elle, à la pointe australe d’un continent battu par les vents, elle avait mieux compris ce qui pesait sur ses enfants.  

Ils rêvaient d’une alternative au modèle trop actif de leurs parents.  

La force du père, héritée d’un 19ème siècle qui ne s’écoutait pas pleurer (serre les dents, mon fils, et tu seras un homme) finissait bizarrement par rejoindre la vision de la mère, un idéal mâtiné de littérature (ne désire, Nathanaël, que ce qui t’arrive) et de sagesse orientale (retourne le malheur, ma fille, qu’il te montre sa face insoupçonnée).  

Ces versions parallèles avaient fait merveille pour les intéressés. Pour le père en le catapultant au zénith d’une carrière où l’on ne se posait pas de questions sur les craintes éprouvées. Quant à la mère, sa petite philosophie de cuisine avait si bien marché pour les obligations sociales qui la tarabustaient qu’elle en avait même fait plus que ce qui lui était demandé.

L’obstacle final, jamais anticipé, était que les deux parents unis – le père par son endurance exemplaire, et la mère par sa confiance juvénile – n’avaient pas vu qu’ils bloquaient, chez leur progéniture sans cesse boostée, toute occasion de se défausser, de reconnaître la vacherie d’une épreuve subie, d’oser se plaindre d’une épine dans le pied. 

Les enfants n’avaient pu descendre au fond d’un chagrin qui ne soit aussitôt décortiqué de son venin. On leur désamorçait leur peine, pour le père dans une résistance infaillible, pour la mère dans un optimisme acharné, qui se rejoignaient en les poussant à saisir, sous le masque grimaçant, l’envers favorable qui se cachait. 

Certes avec un argument issu de sa panoplie positive, la mère aurait pu suggérer que cette muette complicité avait de quoi rassurer sur l’unité parentale et conforter les enfants dans l’idée qu’eux-mêmes n’avaient pas été conçus par hasard. 

Mais il était temps de renoncer à un enseignement qui avait tenu fermé le rideau des souffrances et les avait laissés dans l’attente d’un partage enfin compatissant. 

Crédit image © Fondation Vuitton