Émissaires

Dès qu’elles accouchaient, les femmes devinaient que tous leurs espoirs, leurs projets restaient désormais conditionnés par les trois kilos, devant elles, de chair rose et chaude, mortelle sans elles, que déjà elles aimaient. 

Deux décennies plus tard, les fils leur reprochaient de les avoir trop couvés.  

Pourtant l’une d’entre elles se rongeait de n’avoir pas assez prévenu, guidé l’enfant qui, de sa liberté respectée, n’avait su que mourir. 

Mères émissaires de culpabilité.  

Mais de le savoir, elles en étaient exonérées. Rendues à un au-delà de la maternité : à la jeunesse, en somme.  

Elles reprenaient le tricot de leur vie où elles l’avaient laissé.

On leur avait raconté que rien n’était plus naturel, de renoncer à leurs horaires fantasques ou à la gratuité de rêver. Elles en avaient grossi, de tout ce barda que les femmes sont invitées à porter, hérité d’aïeules victimes de dures époques où mener l’enfant à sa maturité relevait de l’exploit.  

Darrieusecq était devenue insomniaque à la naissance de son premier-né. Trente ans plus tard, l’écrivaine cherchait encore le sommeil qui l’avait désertée. 

Passage à niveau de ces destins d’inquiétées.

Fil conducteur à vous électriser.  

Mais en coupant le cordon, l’enfant décrochait les sacs de sable qui vous lestaient. Vous n’en reveniez pas, de vous sentir légère. 

Fini, l’incessant harcèlement à se demander si l’on a bien dosé, suffisamment veillé, sans diriger à l’excès. 

Alors vous franchissiez d’un bond vos vingt dernières années pour découvrir autour de vous, médusée, des pâturages oubliés qui étaient restés verts. 

© Inko Di Ö 

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