Appréhension

Pendant une ascension en télésiège dans le massif des Pyrénées, elle avait passé son temps à s’émouvoir du froid qui s’annonçait, à s’en vouloir que son pull soit resté au chalet.  

Même si une température clémente adoucissait cette fin de vacances, elle redoutait le rhume sournois. Obnubilée par sa crainte, elle n’était plus capable de percevoir les signes qui l’auraient rassurée.  

Les arbres qui couraient en limite des sommets dessinaient une barbe hirsute. Une série de cônes lisses avait beau émerger comme des pierres ponces en chapelet, couvertes de mousse rase juste comme elle les aimait, le Cambre d’Aze avait beau se ceindre au loin d’une brume flottante – signe de réchauffement –, elle n’avait pu laisser son esprit glisser dans le cirque immense ceinturé de rigoles ni le long des forêts évasées en forme de doigts palmés jusqu’au bas des montagnes.  

Plus le télésiège l’élevait dans les airs, plus l’inquiétude apposait son filtre malsain, dénaturant le paysage. 

Elle n’était sensible qu’aux reliquats de neige qui confirmaient la certitude de la maladie à venir et des vacances à coup sûr compromises. 

C’est seulement en examinant la carte à l’arrivée du télésiège qu’elle avait compris qu’ils allaient vers un lac situé moins haut que leur station de départ. Il ne pouvait donc pas y faire plus froid.  

Sa belle traversée suspendue dans le vide au-dessus de mamelons gentiment arrondis avait été stupidement gâchée. 

Elle se souvenait aussi d’un soir où, nageant seule dans son étang de campagne couvert d’un tapis d’ombre, elle avait sursauté en entendant une explosion : un cratère s’était creusé tout près, où l’eau avait brutalement jailli. Le choc s’était répété plusieurs fois. L’angoisse l’avait saisie.

À nouveau le claquement sec qui éventre la surface de l’étang, suivi d’une gerbe d’eau noire.  

À force de scruter les environs, elle avait fini par distinguer des petits jeunes qui se livraient à un concours ordinaire pour leur âge. C’était à qui jetterait au plus loin un galet ramassé sur le bord : c’était donc cela, la cause de sa tourmente. 

Elle en avait ri, de sa hantise déplacée, de sa fugue perturbée par une peur sans fondement. Car même tranquillisée sur la banalité du danger, elle n’était pas parvenue à effacer en elle son contrecoup néfaste.  

Comme quoi, tout dépendait de la place qu’on accordait au ressenti, et du calme qu’on s’obligeait à garder quand une mésaventure habitait trop longtemps les interstices de la pensée. 

© Iena PolishkoUnsplash