Brasier

Elle avait consacré son week-end à un dossier qu’elle devait remettre, sans faute, ce lundi-là aux aurores. 

Le deuxième soir, elle était allée se baigner pour se récompenser de sa tâche. La mer, opacifiée par une razzia de nuages, était glacée en ce début d’automne, de quoi couper la fièvre qui l’avait échauffée pendant quarante-huit heures. Là, entrant vaillamment dans une eau d’acier dont la lame pénétrait sa chair survoltée, elle avait senti s’apaiser toute son ébullition. 

Mais alors que le froid commençait à pincer sans qu’elle renonce à la vigueur du contraste, elle avait vu Saint-Malo de l’autre côté de la baie, encerclée par les flammes. 

Sans lunettes, elle ne parvenait pas à situer l’incendie. Mais sur la mer grise se propageaient des braises incandescentes, que le froid du métal détrempé était impuissant à éteindre.  

La ville entière se consumait. 

Elle ouvrait grand les yeux, orphelins de leurs verres, pour mesurer cette fin du monde précipitée.  

La lueur s’était embrasée davantage  – fer rouge attisé par la réverbération, comme un tesson au soleil aveugle le regard.  

Au moment où le froid la saisissait d’une empoignade brutale, la couleur s’était enlisée.  

Elle était restée immobile, oubliant de nager. 

La fournaise s’était résorbée dans l’angle des murs sombres. Tout était redevenu d’un gris imperturbé.  

La ville était partie en fumée sous les derniers feux du soir.  

Il s’agissait d’une illusion d’optique, c’était évident désormais : un reflet du soleil, pourtant couché au loin, remontait la ligne d’horizon et se répercutait sur les vitres en miroir 

À l’issue d’une séance de travail, le lyrisme avait excité son imagination. Puis l’aventure avait reflué pour laisser apparaître le sarcasme de l’histoire : l’effacement du mirage – en rendant le réel à la nuit – avait immolé le ronflant des passions. 

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