Dissidence

Elle restait décalée par rapport aux horaires habituels. Son indépendance couvait sous des signes discrets : le choix de retarder le dîner pour le plaisir enivrant de se sentir affamée, la nage à une heure où se rhabillent les baigneurs frissonnants, l’habitude d’errer seule en forêt et davantage au crépuscule des journées, le culte qu’elle vouait à la lune dont elle guettait les pulsations et cochait à l’avance les cycles sur son calendrier, la course excitante sous le ciel bleunoir où voguent les marées. 

Ce soir-là encore, elle avait nagé jusqu’à l’autre rive de l’étang : elle avait dépassé les bouées pour filer dans l’eau moelleuse et lisse – argentée en décalque du ciel, mais orange dans ses moires instables –, que certains soirs de chaleur pas un souffle ne ridait et que seule trouait parfois une truite qui pêchait.  

Elle avançait silencieuse, sûre d’elle et de son aventure masquée, perdue dans l’univers – ce n’était guère prudent lui disait-on, en cas de malaise nul ne pourrait la sauver, mais en cas de bien-être nul ne pouvait l’égaler, et puis tant qu’à faire, autant finir dans la beauté.  

À cet angle interdit de l’étang où personne ne nageait, elle s’exaltait à rejoindre la ligne rouge inscrite par le soleil qui, tapant contre la rive, quittait la surface miroitante pour remonter l’écorce d’un olivier et s’ébrouer sur le feuillage d’un saule – avant de disparaître en haut des dernières branches et la laisser, elle, en bas, incapable de poursuivre dans les nuées, surprise de se découvrir soudain au cœur des muettes obscurités.  

Elle était si éloignée de la berge que pour rentrer elle devait accélérer la brasse.  

Délivrée de la ferveur qui la poussait sans relâche à l’approche du soir, elle se sentait prête à rallier le reste de l’humanité solidement ancrée à ses rythmes invariables.