Buvard

Le vrai dommage, ce n’était pas tant la crise spectaculaire – la fracture soudaine ou la hernie discale –, souvent juste provisoire. 

C’est qu’il ouvrait le sillon de la première faiblesse.  

La douleur allait profiter de la surprise pour creuser son lit dans la chair.  

C’est sans prévenir que l’organisme se déréglait discrètement.  

Une fois l’entaille enregistrée, le corps gardait mémoire de son ébranlement primitif. Et toute rechute réactivait le risque inauguré. 

Elle repensait à cette héroïne de roman qui rangeait ses écrits dans un sous-main violet dont l’éclat, animé un jour par un soleil de biais, avait attiré l’attention du mari.  

Or l’un de ses buvards avait gardé la trace d’une lettre clandestine. Une tromperie ancienne, dont il ne restait rien dans le présent conjugal, ni même dans les annales de l’épouse infidèle, dénoncée par un reflet volage.  

L’adultère s’était évaporé de sa conscience, grâce à une amnésie bien pratique. Mais le délit demeurait gravé en filigrane du papier. Une page conservait la preuve inattendue de l’incartade. 

De même, il était impossible d’effacer le moindre trauma dans le buvard du corps.  

Tout comme la vertèbre, une fois hors de sa loge, a tâté le terrain d’une errance à venir, ou la hernie même guérie se souviendra du pincement initial, une fois pour toutes étaient répertoriées dans le squelette les étapes imparables d’un démembrement progressif.  

Et même si l’on arrachait une page, le buvard intérieur consignait – imprimée à sa trame – chacune des stations invisibles où il était prévu que trébuche l’ardeur. 

Crédit image © Aleksandar Pasaric- Pexels