Hennezel

Elle s’interrogeait sur le hasard qui avait, cet été-là, réuni sous ses yeux des cas si différents de vieillissement ingrat. 

Parmi trois de ses proches, l’un ne contrôlait plus son corps ; l’autre, sa mémoire ; la dernière sa raison.  

Les observer avait été instructif car pour chacun, un travers moral s’était aggravé avec l’âge : l’un, peu bavard, s’était muré dans le silence, ignorant que s’il masquait ainsi l’angoisse de se voir dépendant, il privait ses enfants du réconfort de se sentir utiles.  

L’autre jouait du besoin d’être plainte, exagérant sa voix fluette de petite fille qui perd toutes ses affaires. Et sa susceptibilité n’avait fait qu’augmenter : si elle manquait un rendez-vous, elle se lamentait, mais si on l’aidait à s’en souvenir, elle se croyait victime d’une surveillance injustifiée. 

La dernière, cousue aux jupes de sa mère, avait développé une peur paranoïaque d’autrui qu’elle imaginait en train de l’espionner. 

Chacun s’était enfermé dans son obsession de départ. 

Marie de Hennezel disait donc vrai, lorsqu’elle prévoyait la vieillesse par un fléchissement vers le pire, et qu’elle encourageait ses patients à cibler le défaut qui les guettait, histoire de voir venir. 

Elle-même, comme lectrice, ne pouvait s’empêcher de frémir, essayant d’imaginer dans quelle fébrilité sa vie s’achèverait (suivant la droite ligne de ce qu’elle avait été). 

Il fallait décrocher un équilibre juste, qui ferait de soi une petite vieille malicieuse et rieuse en empathie avec la jeunesse en mal de se chercher, un réservoir d’histoires à rassurer qui n’ennuierait personne de ses sornettes répétitives, mais soumettrait finement aux jeunes générations déconfites – sans plainte mais sans forfanterie – un démêlage possible.  

Une œuvre qui vous rende telle que le monde l’espère et telle que, sans le prévoir, vous en soyez à votre tour comblée. 

Qui vous rende enfin, malgré vos rides et vos organes flapis, encore lumineuse à autrui. 

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