Palliatif

Elle se disait – pour se consoler de ne plus pouvoir danser – qu’aucun corps n’acceptait de mourir s’il ne lui était donné d’abord de vieillir. D’un côté ou de l’autre, du foie ou de la rate. 

Chaque vie différait par sa fin. Pour celui-ci, c’étaient les poumons qui flanchaient. Une autre était ramenée à un état infantile où s’effaçait tout son savoir acquis. 

Elle méditait sur le précepte chinois mourir en bonne santé. Il y avait donc un moyen de contourner l’obstacle ? 

L’intérêt, se disait-elle, était de ne pas être mise au courant trop vite. Le suspense sur ce point était une chance inestimable. 

L’être humain oubliait parfois que l’issue ne variait pas d’un iota, malgré les circonstances singulières pour chacun. Mieux valait se concentrer sur cette différence, même si elle ouvrait une marge de manœuvre plutôt mince.  

Tel jeune retraité de 60 ans venait en quelques heures d’empiler une crise cardiaque et un AVC qui avait détraqué ses fonctions cérébrales : un réseau de sillons noirs s’était creusé dans son cerveau, que le scanner marquait d’une encre impitoyable.  

En une seconde l’homme avait été dépossédé d’une deuxième vie qui commençait.  

Telle autre aïeule avait étonné ses proches à vivre si longtemps qu’elle avait connu plusieurs générations d’héritiers et qu’à ses funérailles les trois quarts des fidèles étaient ses descendants. Et il lui avait été accordé la douceur de partir en dormant.

Elle s’efforcerait de garder en mémoire cette disparité de traitement qui plaisait au hasard.  

Mais surtout, le fait de ne découvrir que peu à peu les phases de son déclin aidait à mieux y consentir, finalement. Dans l’intervalle chaque répit permettait de regagner une confiance provisoire. 

Elle prendrait soin de croire qu’à la loterie de cet imprévisible-là, ne pas désespérer d’avance – mais ne pas esquiver non plus la part d’impondérable –, constituaient l’unique palliatif d’une humanité dérisoire. 

Crédit image © Bruno Guyader, Sainte Seve, La Vallée des Saints