Seins

Sous ses yeux, l’actrice jouait le rôle d’une femme qu’un amant caresse frénétiquement. La large main avait aplati un sein qui s’écrasait sous un culte si ardent qu’on se demandait comment un corps à ce point comprimé pouvait feindre la jouissance. 

Froissée sous le chiffon du désir.

Mais lactrice très jeune, morveuse encore la veille, avait des seins en guimauve sous la meurtrissure de la main. 

La spectatrice s’était alors rendu compte qu’elle n’était pas si mal lotie malgré sa longueur d’avance sur la courbe des ans. Elle n’avait pas cet avachi, ce laisser-aller après les grands efforts.  

De sorte que de cette pièce sur les déchirements de l’amour adultère, elle n’avait gardé paradoxalement que cela, le soulagement de constater que sa carrosserie à elle ne serait pas remisée de sitôt au garage du temps.  

Elle se disait que la conscience de vieillir évoluait par étapes successives : malgré la première trahison d’un muscle fléchissant, on goûtait au réconfort de se croire sur certains points moins atteinte que d’autres, comme les îlots continuent miraculeusement d’émerger au milieu des vagues retentissantes. 

Crédit image © Rachel Monnat, 2015 

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