Clones

Elle avait emprunté son itinéraire habituel qui longeait la rade de Dinard.

Un ciel bas pesait sur la mer et enveloppait le littoral de sa grisaille.

Elle aimait les ciels marins tourmentés qui rapportent du grand large leurs histoires de pirates.

Elle s’était arrêtée devant deux goélands argentés.

Un jour, un oiseau de cette espèce l’avait attaquée sans qu’elle sache pourquoi. Décidément ces volatiles avaient toujours à lui apprendre : ces deux-là cheminaient côte à côte, exactement du même pas, faisant halte au même endroit.

Celui de gauche calquait sa marche sur celle de son petit camarade.

Elle était fascinée par ces sosies élégants, au cou pareillement blanc qui s’enfonçait entre des ailes d’un gris perle identique. Et sur le bec jaune – tantôt gloussant vers l’autre ou aboyant à tue-tête –, ils portaient un poinçon rouge à l’encoignure du nez.

Elle avait suivi leur pas de deux, hypnotisée par leur symbiose parfaite. Ils allaient et venaient dans un ballet orchestré, sans concertation apparente.

Au moment où elle admirait le couple exemplaire que vaguement elle enviait, le plus docile des deux avait saisi fortement dans son bec le cou de son compère et ne l’avait plus lâché.

Rien à voir avec les coups de dents joueurs que se donnent les félins. Il serrait si fort qu’elle s’attendait à voir son double s’étrangler. D’autant que la pression méchante avait duré.

S’étaient ensuivis quelques battements d’ailes.

Le compagnon malmené ne cherchait pas pour autant à résister. Il feignait d’être asservi à son persécuteur : il se coulait agilement, se laissant guider et secouer en tous sens.

Grâce à cette souplesse ondulante, le cou ne cassait pas.

À force de voir sa victime s’abandonner sans révolte, l’agresseur avait relâché son emprise et déposé la chiffe molle.

Puis ils avaient continué leur promenade en miroir. Comme deux pantins ils changeaient de direction ensemble.

Elle était médusée par ce manège d’automates qui affichaient leur doux visage social et s’étrillaient pour de bon derrière la mascarade. Elle ne discernait pas pourquoi le plus soumis se pliait aux manigances d’un tyran.  

Mais bientôt lassée d’une histoire qui n’en finissait pas, elle les avait laissés là, et avait repris son circuit le long de la digue décapée par le vent.

Une heure plus tard, alors qu’elle rentrait ragaillardie par une saine fatigue, elle avait salué au passage les deux créatures alliées pour le meilleur et pour le pire, toujours confinées à leurs manœuvres stériles.

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