Empathie : leçon

Deux femmes avaient à ses yeux une aura exemplaire.

Lorsqu’un jour, la première avait été en butte à un sarcasme conjugal pour avoir commis une simple étourderie, la visiteuse s’en était émue, prête à se mobiliser contre cette injustice.

Mais interrogée sur son humiliation publique, la femme avait haussé les épaules avec un je m’en fiche mystérieux, qui avait laissé son interlocutrice médusée et séduite.

Une macula était en train de rendre la seconde aveugle.

La tache au centre de sa pupille s’élargissait inexorablement et le laser avait à peine ralenti l’infiltration du noir dans l’œil.

Or cette femme, archiviste, avait consacré sa vie à des études d’Histoire. Seul l’usage d’une loupe lui permettait encore d’écrire, mais elle ne pouvait guère relire ses phrases.

À l’enquête discrètement menée sur la perspective de finir ses jours dans une obscurité totale, elle avait répondu par un je m’en fous qui avait été une nouvelle source d’étonnement.

La visiteuse avait été bluffée du ton insoumis chez une vieille dame rangée, enduite de tous les sacrements.

Elle-même qui n’envisageait qu’avec angoisse d’être privée de lire ne savait comment apprivoiser un tel détachement. Elle était gagnée au sang-froid de ces deux philosophes – qui n’était pas feint, elle le sentait, ni dicté par la frime, mais pleinement consenti.

Elle se demandait si l’empathie qu’elle avait eue d’abord ne pouvait pas fausser la donne et si, en s’apitoyant sur leur sort, elle ne gênait pas leur volonté de dépasser l’épreuve.

Être une caisse de résonance n’était pas forcément l’aide la plus utile.

C’est avec plus d’insouciance qu’il fallait s’investir.

Au lieu de s’identifier aux souffrances rencontrées en chemin, mieux valait réprimer la fusion infantile qui empêche quiconque de sortir du pétrin.

 Chapelle de Monestiés (détail)