Tri sélectif

Elle l’avait remarqué, quand un obstacle contrecarrait ses plans, cela l’ennuyait davantage que ne l’aurait soulagée la solution du problème.

De là, elle en avait conclu qu’il ne tenait qu’à elle d’orienter son mental pour mieux considérer les aides inespérées.

Elle s’imaginait jongler avec ses instruments de mesure, charger elle-même le bon plateau de la balance, dans une réévaluation constante des effets pernicieux à transmuer en bénéfices courants.

Elle s’en voulait ainsi de ne pas développer avec l’un de ses voisins plus de compréhension – elle le trouvait petit-bourgeois, occupé de son bien, xénophobe et moqueur.

De quel droit le réduisait-elle à sa manie du persiflage ? Elle n’était pas sans savoir que pour d’autres, il était l’ami sûr, généreux et loyal.

Où rangeait-il son visage plus flatteur ?

Elle se disait que ce serait cela, le discernement qui venait avec l’âge : faire éclore ce qui dormait en chacun, et ne se voyait pas.

Et elle s’incluait dans le programme.

Désormais elle gardait présent à l’esprit – en face d’une critique, au vu d’une petitesse – que plus loin sous cette apparence aigrie se cachait un aspect moins radin, veillait une largesse.

Il ne tenait qu’à elle – au lieu d’emboîter le pas à la provocation – de dénicher ce filon incertain, de remiser les stratégies de réplique qui causaient l’engrenage.

Le dialogue manœuvrerait insensiblement vers des dispositions maîtrisées pour accoster enfin sur des berges moins ingrates.

Elle devait sonder ces territoires nouveaux – ne fût-ce qu’au nom d’une sobriété choisie ou d’un simple refus des dépenses superflues (avec l’âge elle cherchait une gestion économe) – pour déchiffrer plus vite en chaque être la part de la lumière enfouie.

Elle visait un assainissement des intérêts mesquins.

Progressivement, elle sentait s’affirmer cette nécessité d’éviter l’abcès des rancunes mal loties, et d’œuvrer à l’émergence d’une humanité inconnue qui n’aurait plus la hargne en dénominateur commun, mais qui s’ouvrirait à un arbitrage pleinement consenti.

© Fabienne Pomel, Givre

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