Surplomb

À trois mille pieds d’altitude, elle était arrimée à une toile invisible qui oscillait entre ciel et mer, lustre suspendu à des courants contraires, au gré des continents. 

Elle avait branché une de ses oreillettes et suivait d’un œil Spiderman dans le vent.  

Il fonçait d’arches monumentales en ponts extravagants, se lançait dans le vide cramponné à ses lianes, et tournoyait comme un insecte géant sur les câbles d’acier qui fusaient de ses doigts.  

Cela ne l’empêchait pas, elle, de zapper. Elle lisait en parallèle un auteur renommé qui tissait dans son ouvrage des liens comparatifs. Il sautait d’un peuple à l’autre avec l’habileté d’un expert en voltige.  

Ses hameçons agrippaient l’idée, entraînant ses lecteurs dans un précipice où rivalisaient les doctrines.  

Alors que la controverse semblait s’y écraser, son point de vue surgissait, sous la forme d’une synthèse sagement réfléchie. 

Il commençait par défendre une position pour mieux la circonvenir. Si bien que le public gagné à ce vertige devait rebondir également, d’un croche-pied malin à une passe savante. 

Le philosophe finissait par gommer l’artifice. 

Il récusait la tentation de façonner autrui à son mode de penser, et de cacher – sous une tolérance apparente – le préjugé ethnocentrique.  

Même le subtil Montaigne en prenait pour son grade. 

Mais quand la tête de son voisin avait ballotté comme une algue au flux de la marée, quand elle avait vu les hublots se fermer un à un et ses contemporains s’obscurcir dans la spirale des horaires décalés, elle avait mesuré – à son fanal unique en haut de l’océan – la chance d’être conviée à une telle gymnastique, à pareille fête intellectuelle et sportive. 

À la fois intégrée au récit tout en le surplombant, elle cumulait les prouesses du héros agile et de la lectrice vigilante, dans une performance d’acrobatie mentale,  

une sorte d’équilibrisme quelque peu délicat, 

sous l’impulsion de la nuit primitive. 

© Ann Ronan Picture LibraryAFP