Effets pervers

Si on avait dit à ces chercheurs découvrant les restes d’un humain primitif – au crâne allongé et aux orbites de primate –, si on leur avait dit qu’eux-mêmes avaient dans leurs gènes des reliquats de ce grand frère Néandertal, ils ne l’auraient pas cru. 

Si on avait dit à Gandhi que l’indépendance de l’Inde susciterait des combats fratricides où seraient massacrés ceux-là mêmes qu’il comptait libérer, il aurait réfléchi à deux fois.  

Il suffisait d’acquérir une conviction pour qu’elle soit tourneboulée à la première occasion. 

Dans la sphère du privé, le destin se chargeait tout autant de rebattre les cartes. 

Si on avait dit à ces jeunes mariées que la naissance d’un enfant mettrait leur couple en danger, provoquant un conflit sur la façon de l’élever, elles n’auraient pas tenté l’aventure sur-le-champ. 

Si on avait dit à cette mère soucieuse d’adoucir la sévérité d’un père qu’un jour le fils lui reprocherait d’avoir voulu tout contrôler, elle penserait avoir mal entendu.  

Certes, avec du recul, il y avait un avantage à ne pas tout savoir dès le départ.

On aurait pu dire à cette furie qui déplorait la mauvaise santé de son fils dont elle rendait responsable la femme, que c’était elle, l’accusatrice – par une habitude ancienne de repas trop copieux – qui avait favorisé sans le savoir la maladie à venir. 

D’un mot, on aurait pu l’éjecter de sa forteresse de scandale.  

En fait, c’est lorsqu’on se croyait au plus fort de son droit, bien calée dans ses bottes de légitimité que, sans crier gare, au point précis où l’on se jugeait quasi invulnérable, le sort avait vite fait de vous rabattre le caquet. 

Les événements se chargeaient de vous faire déchanter d’un bon coup de règle sur les doigts. 

Elle se disait cependant que le discernement ne pouvait s’administrer à coups de sentences éclairées. Rien ne valait le lent cheminement par lequel il était accordé parfois de reconnaître l’inanité de ses croyances, et d’atteindre une humilité qui était, de loin, l’œuvre faussement la plus simple. 

Puisque c’est au moment où l’on se croyait sûre d’avoir agi au plus juste qu’on tournait le dos à l’évidence, à des clés ignorées qui, une fois reconnues, s’avéraient infiniment dérangeantes. 

C’est quand on ne doutait pas d’avoir raison que l’on se fourvoyait. 

Au lieu d’une cause unique, satisfaisante pour l’esprit, on était confrontée à une multiplicité de motifs.  

C’est dans le réflexe qui poussait à donner de soi l’image la plus immunisée que se cachait l’aveuglement. 

C’est pourtant au moment où l’on renonçait à son rêve que l’on était indemnisée par un soulagement imprévu : une porte nouvelle s’ouvrait, et toute bonne conscience s’évaporait à jamais. 

C’est dans cet agencement inconfortable auquel tout être rechignait que flottaient, à la marge, les bribes d’une vérité instable. 

Néandertal © Musée Labenche 

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