Résilience

Elle avait rejoint sur la côte son lieu de promenade favori 

Elle arrivait à un tournant de sa carrière. Le moment de se réorienter. Elle devait se définir un champ nouveau d’exploration dans lequel elle ne risquerait pas de s’enliser 

Il lui faudrait dépendre d’un laboratoire, comme le voulaient les dernières réformes. Les temps n’étaient plus à l’étude solitaire. Le ministère imposait une mise en commun des recherches. 

Mais cette incitation à produire nuisait au désintéressement.  

Méditant sur le chemin, elle avait jeté un coup d’œil à Saint-Malo surmonté d’un parachute de bleu qui détonnait sur le fond gris.  

Elle, c’est l’intra-muros qui la tentait.  

Ses jambes étaient devenues soudain pesantes. Plus moyen d’avancer.  

Qu’est-ce qui rendait lointaine la plage vers laquelle d’habitude elle se hâtait, après avoir longé une enfilade de criques où la mer toujours jeune prospectait ? 

Elle était encore là, la mer, et venait dans un clapotement humble s’enrouler inoffensive au pied des rochers qu’elle léchait. Elle aussi semblait réfléchir. 

Où était cet élan qui la propulsait au-dessus de la digue pour gifler les façades et éclabousser les passants ? 

Elle s’était concentrée sur le défi à tenir. Pas simple de se détacher d’une œuvre connue où l’on navigue les yeux fermés. 

Puis, en sondant les approches critiques des dix dernières années, elle avait ciblé un créneau encore à défricher. Une idée en entraînant une autre, elle avait cerné les contacts qui lui seraient utiles, et les partenariats que ce domaine d’analyse ne manquerait pas d’ouvrir.  

Progressivement rebranchée à une exaltation nouvelle, elle était arrivée à la dernière plage qui une heure plus tôt lui paraissait inaccessible.  

Son écharpe flottait dans un petit vent chaud qui se levait justement, à peine humide d’une bruine agréable qui la revivifiait.  

Elle avait pris un pas alerte pour diluer la confusion de ses pensées.  

De retour sur sa plage d’où s’était retirée en partie la mer, elle s’était plantée là, au milieu du rivage, dans le frémissement de l’eau qui remontait. 

Face à la ville fortifiée de l’autre côté de la rade – qu’elle aurait presque pu toucher en se penchant de l’avant – les pieds bien calés dans la vase, amarrée comme ces coques de bateau à leur bouée, elle avait senti converger en elle une fluidité de courants, tout un fourmillement de vie qui revenait, l’essor encore insoupçonnable de la marée qui surgissait en milliers de vaguelettes.  

Autant d’impulsions qui ranimaient l’énergie, hésitant un moment sur la direction à suivre pour dépasser l’angoisse de se renouveler.