Colloque

Elle avait ouvert sans bruit la porte de l’amphithéâtre. La présidente de séance allait introduire le deuxième exposé.

Très vite, elle avait été surprise par une détente imprévue. D’où lui venait ce relâchement brusque, alors qu’elle était arrivée essoufflée, maudissant ses éternels retards ?

Elle ne voyait, d’où elle était, que chignons affaissés sur des nuques attentives, que frisures accolées à des chevelures chatoyantes, qu’épaules dénudées en cette fin de juin qui donnaient l’impression, vues de loin, que le reste du corps plongé dans le fauteuil partageait la même sobriété.

Elle avait ri à l’incongru de sa vision décalée.

Ces opulences éparses – ou en passe d’être dénouées depuis le temps qu’elles écoutaient – ces châtains mouchetés de blond, toutes ces boucles sur des cous gracieusement inclinés, formaient en soi un spectacle apte à concurrencer le débat.

Un coup d’œil panoramique lui avait donné la clé de son apaisement : le public était composé quasi exclusivement de femmes.

Des remarques flûtées montaient de la salle, comme s’il n’y avait rien à prouver, rien à marteler aux cerveaux réticents. D’ordinaire elle percevait les rapports de pouvoir derrière les écoles de pensée.

Ici, personne n’empoignait un micro revanchard.

Une voix rebondissait en séquences qui s’enchaînaient sans heurt, et musardait avec intelligence pour dire le rôle prescripteur du langage dans l’inconscient des femmes.

L’auditoire découvrait que Madeleine Gide en détruisant les lettres de son mari avait hérité de Médée sa fureur homicide.

La vengeance obnubile parfois.

Elle-même avait appris que l’anorexie était une structure non dénuée d’avantages, une sorte de phallicisation du corps par la maigreur. Elle avait souri à cette volonté de plier le texte à l’interprétation.

Pourtant la fin de l’exposé n’éludait pas la tentation du néant qui menaçait les femmes : d’où leur dissolution dans certains paysages.

Elle avait écouté avec intérêt comment depuis vingt ans le féminin avait influencé les arts : il avait introduit l’insignifiance de l’histoire, mis à la mode la vacuité du sujet et avait dynamité la notion d’avant-garde.

En apportant une attention nouvelle au quotidien, comme si désormais le beau procédait directement du rien, il libérait la création, la détachant d’une souffrance censée élever l’âme.

Elle se sentait revigorée par cette évolution dans les mentalités.

Elle saluait le déploiement d’énergies militantes qui retournaient les catégories comme des gants et montraient les violences invisibles faites aux femmes.

De quoi débusquer, sous les virilités dominantes, des emprises plus sournoises.

Les femmes avaient mis des siècles à s’offrir ce trophée.

En même temps elle était alertée par le faible nombre d’hommes dans l’assistance (même si Lacan derrière tout ça évidemment planait).

Au moment où d’une voix nette, une jeune doctorante dissertait sur l’impact de la robe de mariée en simulacre du mâle, elle avait regretté de partir, laissant la jeunesse à sa marotte nouvelle.

Elle s’était esquivée, réjouie que l’interaction entre masculin et féminin soit devenue l’enjeu de recherches si subtiles.

Elle avait lancé un regard attendri à ces dos absorbés, penchés vers des problématiques débordantes de conscience – qui avaient de quoi rassurer, quel que soit le jargon si plaisamment pédant.

Elle avait interrompu le dialogue avec les nuques émouvantes qui l’interrogeaient comme autant de visages expressifs.

C’est par leur faute qu’elle se gourmandait de ne pas garder une attention plus fixe.

Elle avait abandonné ses semblables dans leur déconstruction des normes, hésitantes encore sur les solutions de rechange.

Sans doute le brouillage des attributs de genre finirait-il par rouvrir des fonctions inhibées – à travers le cumul décoiffant des postures, revues et corrigées.