Mitraille

Une nouvelle chasse au sanglier s’annonçait. Elle l’attendait avec indifférence, rassurée qu’elle était d’avoir déjà écrit ce qu’elle voulait sur le sujet.

Elle ne voyait pas ce qu’elle aurait à rajouter.

Dans le petit matin d’automne, le soleil déboulait à travers les chênes qui perdaient leur feuillage, comme il y avait juste un an de cela.

Les hommes s’étaient répartis en file indienne, se plaçant tous les quarante mètres le long de l’allée cavalière.

Occupée à sa gymnastique au dernier étage du manoir, elle leur lançait de temps à autre un œil convenu pour s’assurer que tout était en place.

Aux cinq coups de cor réservés à ce que les chasseurs appellent un beau cochon sauvage, elle s’était précipitée et avait assisté, de son poste de guet, à la scène la plus loufoque rapportée dans les annales de la chasse.

Le sanglier avait jailli du fourré et franchi comme un boulet la rangée de tireurs. Il courait aussi vite que ses courtes pattes le pouvaient, à travers le grand champ.

Des coups de feu avaient claqué. Comme dans les westerns, un petit nuage de fumée s’élevait autour de chaque fusil sur la ligne de tir. Mais alors qu’elle s’attendait à voir l’animal rouler-bouler dans l’herbe, une balle en plein cœur, il continuait sur sa lancée.

Longtemps elle avait suivi des yeux celui qui vengeait honorablement son cousin canardé au même endroit l’année d’avant.

Quant au rabatteur, il en était à poursuivre dans le pré un des chiens, indocile, qui refusait de rentrer dans le rang.

Mais les chasseurs se rassemblaient.

Elle était sortie de sa tanière, réprimant le rire qui les eût désavoués, étourdie de toutes ces mains masculines à serrer, de cette vingtaine de casquettes qui se levaient en respect de la seule femme présente, celle que même la chasse la plus barbare tient à cœur de saluer.

Déjà on lui annonçait un rôti pour la prochaine fête familiale, d’une petite laie qui avait fait les frais de la fanfare ratée. Était-elle la femme ou la fille de celui qu’on cherchait ?

Quant à l’autre, le gros, qui s’enfuyait encore, on le disait blessé.

Le piqueux avait donné le signal de pousser ailleurs la cavalcade.

Elle les avait gratifiés d’un sourire mécréant, sachant que de telles occasions ne se reproduisent pas, que ce vieux rusé-là ne se ferait pas prendre, reconnaissante surtout de ce qu’il lui avait apporté, du rire qui dégonfle les grandes épopées.