Lâcher prise

La vie sociale, la maternité, les études, les déménagements, le métier… elle avait réussi à ne rien sacrifier. 

Elle avait bataillé sur tous les fronts, en construction de soi et lessivage complet. Mais vu l’épuisement, il convenait de freiner la cadence. 

Un jour, l’aiguille que l’acupunctrice tentait de lui planter dans l’épaule s’était tordue en deux. Son corps faisait barrage. Les tensions étaient nouées dans le creux de sa chair.  

Mieux valait jouer la suite sur le mode rétrograde.  

Les enfants avaient grandi plus vite qu’on ne pensait. Et le métier s’avérait, comme les obligations sociales, un puits sans fond. 

Seules les perfectionnistes continuaient à rebattre les cartes (alors que la majorité des gens se berçaient du même roupillon). 

Restait à se la danser en pas chassés de biais, en esquives latérales,

    • à réviser son tableau des limites supportables,
    • réintroduire dans sa vie une latence salutaire
    • au lieu de se forcer aux dynamiques d’ascension (vers quel sommet, de fait),
    • y avait même intérêt à se grouiller.

Était-ce simplement l’heure de la fin qui approchait ? le repli nécessaire après le jaillissement furibond ? les muscles qui, dêtre trop dilatés, retombaient en un flop fatigué ?  

Elle osait croire qu’il y aurait autre chose qu’une simple régression. 

Elle portait ses regards vers une ligne lointaine où, n’ayant plus rien à prouver, elle jubilerait d’être enfin délestée.  

Un autre défi l’attendait, après celui de trop faire.

Ouvrir les doigts et laisser filer un à un les projets,

    • ne plus secouer le monde indolent,
    • les femmes résignées,
    • les bureaucrates passifs,
    • cesser d’obtenir des résultats chiffrés,
    • s’enraciner dans une modération encore inaccessible,
    • céder à la fascination de se sentir légère
    • comme une œuvre inconnue qui devait s’inventer et qui resterait pour longtemps à parfaire.

Crédit image © Yann Béguin, Équilibre de pierre, 2022