Apesanteur

Amortie par un coussinet de nuages, elle glissait entre deux stratosphères. 

Le temps, l’espace, détournés de leur sens, se figeaient pour de bon.  

Bizarrement, la journée filait à rebours de sa course ordinaire. 

Sa vie ressemblait à ce film que regardaient les autres passagers. De son siège, les images lui arrivaient privées de son.  

Ses yeux étaient magnétisés par l’écran sourd-muet. Elle ne pouvait s’empêcher de supputer ce qui s’y tramait, pourquoi la blonde avait l’air si hagarde. Réussirait-elle à sortir de l’impasse ?  

Un scénario nouveau prenait forme. Perchée en haut des nuées, elle flottait tel le mobile dans la chambre d’une enfant qui attend de grandir.  

Malgré la vitesse – des centaines de kilomètres à l’heure – elle était   épinglée en plein vol. Peut-être reculerait-elle jusqu’à voir naître l’univers… 

Elle se demandait ce qu’elle ressentirait si l’avion allait plutôt vers l’Est : la frustration contraire de voir la journée terminée avant qu’elle ne commence ?   

Elle avait pulvérisé ses records sous le coup des dossiers à boucler   avant le décollage. Comme si une ironie la forçait à augmenter sa charge pour mieux s’en délester.  

C’était à désespérer de s’extraire jamais des logiques de l’empile.  

Jamais le destin ne la laisserait quitte, sauf suspendue à la queue des vents instables. 

Elle était maintenue en position paradoxale, statique et propulsée à la fois. Cet accord d’élans incompatibles dynamitait les obstacles habituels 

Comme elle était libérée de ses engagements (n’ayant de façon exceptionnelle rien à accrocher aux épingles du temps), elle laissait résonner en elle un carillon de mots, coiffés d’habitude au poteau des urgences.  

Dans l’impatience d’un présent devenu disponible, ils se croisaient follement sur le tremplin des phrases, défoulant l’excès des passions indociles. 

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