Elle s’était détournée de la mer, semée de balises blanches.
Machinalement, ou peut-être pour se protéger d’une luminosité trop vive, elle avait reporté son regard sur le sentier pédestre qui longeait le rivage.
Là, un cèdre gigantesque dispensait son ombre indulgente.
Ses branches, aussi grosses que des troncs, somnolaient comme des boas paresseux dans une digestion nonchalante.
À gauche du chemin, son regard avait heurté une fenêtre où se lisait la mer. Sur cet écran déformé, elle avait suivi les mêmes balises que celles qui flottaient sur la mer véritable.
La perspective était seulement inversée.
Les mâts tanguaient dans une inclinaison si légère qu’on aurait dit des stylos crayonnant une page.
De l’autre côté, la mer – rechignant à cette concurrence – trompettait sur son angle délaissé, s’indignant qu’on lui vole le copyright de son image.
Dans l’aire controversée, du turquoise clapotait sur lequel s’imprimaient des coques blanches.
Elle avait sursauté au jaune citron d’une barque mollement appuyée dans la vase, comme une claque de couleur sur une cuve bleu sombre.
Elle avait marché d’un pas allègre, avant de ralentir sur la digue qui s’effaçait dans le jour déclinant.
Elle se gardait sur sa droite contre l’attraction du vide où l’absence de rambarde la poussait.
Elle avait ramené son regard vers le panneau suspendu sur le bord du chemin. Il reproduisait les silhouettes marines que la nuit infiltrerait bientôt.
Elle-même semblait – par illusion d’optique – voguer sur les eaux, comme ces balises roses qui trouaient les vagues de leurs spasmes incessants.
Elle s’amusait à voir, transposés sur la toile, les mâts des voiliers blancs, piquant du nez dans le bleu des flots noirs.
Elle accompagnait leurs dérives déhanchées – les yeux douloureux d’être fixes.
Elle interrogeait leur double, produit par l’effet de décalque. C’est là que s’ancrait son goût des surfaces miroitantes où s’aspirait le ciel.
Peut-être finalement le réel comptait-il moins pour elle que sa projection idéale.
Elle s’était éloignée, lourde de son secret comme l’araignée de Sido descendue de sa toile, qui remontait pesamment dormir dans son plafond, repue de chocolat.
Pourtant elle n’oublierait pas la distance à tenir face aux jeux de reflets (qui, malgré leur sursis de lumière, n’en étaient peut-être pas moins, à leur manière, mensongers), et aux apparences qui pouvaient servir de tremplin aux interprétations les plus démesurées.
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