Dopage

Elle n’avait plus qu’un week-end pour écrire l’article auquel elle s’était engagée.  

Après quoi, elle aurait dépassé les délais.  

C’était donc sans répit, pressée par l’éditeur, qu’à minuit elle avait mis le cap sur l’ancien prieuré de Dinard.  

Deux jours pour extirper l’étude qui marinait en elle, et qu’elle sentait prête à surgir. 

Comme elle arrivait, le vent avait troué un épais filtre de nuages.  

Le ciel s’affichait disponible pour imprimer l’idée sur son écran géant. 

Elle avait installé son ordinateur sur la terrasse face à la mer.  

Clapotements en contrebas.  

Le but, avant d’aller dormir, était d’activer le processus mental, d’ouvrir symboliquement la page pour que les mots accourent pendant la nuit, qu’ils n’aient qu’à s’échouer au matin comme ces petits poissons qu’elle avait vus sortir des vagues, au Mexique : sur le sable ils se vidaient de leurs œufs avant de regagner l’océan, plus frétillants encore d’être délivrés de leur charge. 

Deux jours suffiraient-ils ?  

L’angoisse apposait son tamis de tourmente, mais la stimulait également.  

Les mots barbotaient en elle comme la mer en bas du rempart.  

La lune qui était pleine ce soir-là n’avait pas tardé à se lever – visage ciré dans l’encre de la nuit – pour répondre à la fluorescence de l’écran et conjurer ensemble l’obscurité du non-dit.  

Après avoir relu les textes d’un corpus qui s’ébrouait en elle, elle avait décidé de laisser reposer ce petit monde et de retenir jusqu’au matin le premier clic de sa souris, à partir de quoi la suite se désenroulerait d’elle-même. 

Le lendemain, une autre angoisse l’attendait avant qu’elle ne se lance : sa boîte vocale lui apprenait que cette nuit-là l’alarme de son logis avait sonné. Si des cambrioleurs s’étaient introduits chez elle, c’en était fait de son projet.  

Paniquée d’avance à la perspective des démarches où son week-end s’embourberait, elle s’était jetée à la tâche pendant que le jardinier alerté allait vérifier sur place : il la préviendrait s’il découvrait des traces anormales. 

Toute la journée, harcelée par l’urgence, elle n’avait pas détourné les yeux de son écran.  Dans son excitation elle enfilait les phrases, la nuque endolorie de rester courbée si longtemps. 

Pique-nique sous la lune, près du tâtonnement des eaux complices. 

Elle avait abordé la deuxième journée avec la même frénésie, augmentée désormais par le pressentiment qu’elle allait réussir.  

Le jardinier n’avait pas donné signe de vie : elle maugréait contre le loir qui avait dû déclencher l’alarme à si mauvais escient. 

Les lignes se bousculaient, fébriles par crainte d’un dérangement. 

Elle n’en revenait pas. Le terme de sa démonstration s’imposait dans l’enchaînement de ce qu’elle écrivait. En démarrant, elle ignorait encore comment elle conclurait, et voilà que la fin se mettait en place tout naturellement.  

De n’avoir pas été interrompue, l’inspiration se déliait, par simple gratitude.  

Comme quoi, il était plus facile de rassembler ses idées sous la contrainte du temps que les abandonner sur une plage d’oisiveté à la conduite des vents. 

Crédit image © Xavier Tanguy et Juliette Le Roux, Jean-Marie de La Mennais (détail), La Vallée des Saints, 2021