Souffles

C’était un week-end où elle avait alterné les visites à son petit-fils nouveau-né et au grand-père qui se mourait.  

L’enfant risquait de s’étouffer, sans assistance respiratoire. Dès qu’elle posait le nourrisson dans son berceau, sa fille guettait, pour s’élancer, le moment où elle ne l’entendrait plus respirer. 

Et voilà que ce soir-là, le souffle entêtant du grand-père recouvrait dans sa pensée celui de l’enfant qu’elle venait de quitter.  

Quatre générations d’écart les séparaient. Un siècle dans l’histoire d’un pays. 

L’air avait aussi du mal à passer dans les poumons du grand-père. Si bien que de la pièce à côté, elle se surprenait à épier la toux dans la vieille trachée.  

L’effort initial pour inspirer. Puis la pause en apnée sur laquelle l’inquiétude balance jusqu’au moment où, avant de se précipiter, alors que l’on se dit que cette fois ça y est, le souffle reprend son cours irrégulier sur une expiration presque muette. 

Il dormait bouche ouverte, haletant par moments. Une bronchite persistante malgré la triple dose d’antibiotiques.  

Comme si on n’émergeait d’un magma que pour y revenir, avec la même peine. 

À la crainte qu’elle ressentait, comme sa fille inquiète veillant sur son bébé, elle s’était prise à rêver, embusquée à la charnière des générations qui se croisaient.  

Pivot perdu au centre des marées, elle était suspendue entre un début et une fin rendue à sa fragilité.  

Belvédère contemplant la succession des âges.  

Elle-même se sentait parvenue à sa maturité. Désormais – aussi sûrement que la roue tournerait – elle dévalerait les étapes qu’elle avait mis tant de temps à franchir jusqu’au jour où, comme au début de sa vie, un simple souffle deviendrait l’objectif à tenir.