Ce soir-là, dans son appartement du centre-ville, sa mère âgée s’était endormie aussitôt après le dîner.
Au vu de la soirée libérée à l’improviste, la fille avait sorti la voiture du parking et filé à quarante kilomètres de là dans la maison de campagne fermée depuis deux mois.
Là, elle avait goûté des heures exceptionnelles à pédaler sur un chemin de crête d’où elle avait observé le soleil mijoter dans une casserole de nuages.
Les feuilles de chênes cliquetaient dans le vent et recroquevillaient leurs bords déjà rouillés.
L’été indien continuait de happer les énergies restantes.
Les derniers tournesols (bizarrement encore sur pied en cette fin d’octobre) laissaient tomber leur cou tordu et calciné. Leurs squelettes gringalets ressemblaient, dans la plaine, à des pénitents en défilé funèbre.
Mais ce paysage un peu flapi, soudain frotté par le soleil, s’était mis à reluire.
Elle était fascinée que sous la pression des nuages fuse tant de lumière décuplée en jaillissements oranges, comme pour nier le peu de temps qui lui restait. Comme si le jour s’insurgeait contre la voûte qui allait l’écraser.
Elle avait admiré cette habileté à déjouer la menace.
Elle était rentrée en chantant à tue-tête pour désamorcer le signal que l’automne lui lançait.
Là, saluant le manque qui la pinçait dès qu’elle s’éloignait de ses papiers, elle s’accorderait une soirée à écrire entre les murs de la maison déserte.
À peine ouvrirait-elle un volet.
Sa lampe rayonnerait sur la cour jusqu’au milieu de la nuit. Alors, quittant sa tanière, elle s’allongerait sur la pelouse face au ciel.
Par une concomitance singulière, la lune était ce soir-là parfaitement ronde, passée au tamis de nuages délicats qui ne parvenaient pas à l’enfariner tout à fait, malgré le mauvais temps annoncé pour la fin de la semaine : en survivante tenace, elle semblait résolue à ne rien manquer de leurs retrouvailles fidèles.
De quoi pique-niquer au milieu de la nuit sur la pelouse dépliée, dans l’herbe raidie par ce mois de sécheresse, à savourer avec quelques fruits – dans une exaltation qui tenait à l’incongruité de sa présence ici – la divination qui l’avait menée à ce point de rencontre : son image toute petite l’y attendait, posée sur le banc auprès de sa grand-mère, captivées par le spectacle des points lumineux qui avançaient comme des funambules sur leur orbite silencieuse.
Seules dans la grandeur cosmique.
À son retour, la fille s’était sentie un peu coupable d’avoir profité du sommeil maternel pour s’offrir cette fugue en solitaire. Mais elle n’avait pas l’impression d’avoir trahi la force qui maintenait aimantées, depuis des millénaires, les particules divergentes des affections humaines.
© Inko Di Ö